• Une interprétation du chapitre quatre : usage et innovation

    Un objet a besoin de ses acteurs en réseau : l’humain au secours de la technologie...

    Anne observe un métro qui s’automatise et petit à petit retrouve ses humains pour en aider d’autres à s’organiser avec les « nouvelles » conditions de transport. Béatrice s’affole face à ces plateformes Internet et son informaticien vient enfin la rassurer. Carsten bricole pour ses collègues une autre plateforme un peu trop rigide au goût des chercheurs.

    Cela nous renvoie à deux nouvelles analyses théoriques : la sociologie des usages et celle de l’innovation socio-technique.

    La sociologie des usages, dont les principaux auteurs sont français, comme Jacques Perriault et Josiane Jouët, s’intéresse à la construction des rapports entre technologie et société. Elle permet de dépasser une posture déterministe qui suppose que la technique ou la société détermine les comportements et les pensées. Elle montre au contraire que les usages (les pratiques de communications médiatisées par exemple) ne collent jamais aux prescriptions de la machine ou de la société même si la rationalité inscrite dans ces dernières structure fortement les pratiques. On le voit particulièrement dans l’anecdote racontée par Carsten où, avec ses dix collègues, il réussit à adapter un système plutôt rigide à des pratiques qui n’étaient pas prévues, comme celles de ne traiter qu’une partie de la gestion de la conférence. De même, les petits hommes oranges accompagnés de la voix douce viennent seconder ce métro de plus en plus automatisé pour simplifier le transport et pourtant incapable de nous aider à nous comporter en êtres civilisés. Ici, la technologie n’est qu’un élément, les collègues et les régulateurs permettent d’en faire un usage approprié. L’humain permet ainsi cette nécessaire adaptation au réel des situations.

    Michel de Certeau, précurseur de la notion d’usage au sens de « l’art de faire avec », met l’accent sur la façon dont les individus mobilisent leur environnement quotidien pour détourner, bricoler, braconner, les technologies. Dans son œuvre, L’Invention du quotidien, il parle des « ruses silencieuses et subtiles » que déploie chacun pour faire vivre à sa façon, grâce notamment aux histoires qu’on se raconte, les messages imposés par les produits de consommation. Là se situe la liberté des individus, évoquée dans les chapitres précédents. On le voit en effet dans le dialogue qu’instaure Anne avec les régulateurs du métro et qui permet de donner vie à cet automatisme a priori inhumain. Les histoires de Carsten et de Béatrice sur les plateformes de travail sur Internet montrent également, sous cet angle, que rien ne fonctionnerait si personne, non seulement aidait, expliquait, mais aussi et surtout, rassurait, complétait, voire remplaçait. C’est le coup de téléphone à l’informaticien, ce sont les réponses aux méls des utilisateurs, ce sont les tests entre organisateurs et qui sont souvent suivis de déjeuners, ce sont nos rencontres régulières pour mettre en œuvre ce bricolage nécessaire à l’usage des technologies. Nos usages sont ainsi ce qu’il nomme « en perruque », c’est-à-dire ce que l’on fait dans le cadre professionnel mais pour un usage domestique.

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    Enfin, la sociologie de l’innovation, aussi appelée de la traduction, a été développée par Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour pour montrer les limites du modèle diffusionniste. Ce dernier suppose qu’une innovation se diffuse parce qu’elle est de qualité et qu’elle est bien adaptée au système social. Ce serait le cas de la plateforme de Carsten telle qu’il l’imagine au départ… La sociologie de la traduction s’attelle, après des études sur de nombreuses innovations d’hier et d’aujourd’hui, à montrer que ce n’est pas du tout le cas. D’abord, la conception de l’objet technique n’est pas neutre et la participation ou non des utilisateurs joue un grand rôle, ce que nous venons de voir. Ensuite, l’ensemble des individus concernés peut débattre autour de l’objet encore virtuel et ce sont ces controverses qui font évoluer le produit vers le succès plutôt que vers l’échec. On le voit avec la façon dont la plateforme de Béatrice évolue grâce aux discussions avec l’informaticien qui adapte, corrige et transforme. Les partisans de l’innovation ont pour principal travail de contrecarrer les arguments de leurs opposants pour rallier le plus grand nombre de personnes à la cause de l’innovation. La présence des petits hommes orange vient ainsi, non seulement humaniser, mais aussi faire accepter ce nouveau métro quadrillé qu’utilise Anne. Avec la théorie de l’innovation, aussi appelée de l’acteur réseau, on considère alors que l’innovation est un actant, ou acteur non humain, au nom duquel parlent les individus. Elle joue un rôle dans le programme de sa vie, survie ou mort.

    Nous avons ainsi conté nos anecdotes selon nos divers points de vue d’usagers qui montrent les différents aspects des technologies mises en scène : le programmeur, l’organisateur, l’utilisateur, l’usager, le régulateur, chacun a son avis sur la technologie qu’il mobilise et c’est, nous semble-t-il, ce qui en fait toute sa richesse !


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