• 2011 - J’ai oublié mon mot de passe…

    Une anecdote de la vie quotidienne...Et oui, les jours passent et se ressemblent. Je fouille dans mon cerveau, dans mes papiers plus ou moins bien rangés, dans mes e-mails et pages facebook, dans mes fichiers excel, j’appelle les collègues, les amis, mais non, impossible de retrouver le mot de passe pour se connecter au fameux logiciel de gestion de conférence que je suis censée administrer au pied levé. Je pourrais utiliser l’automate qui renvoie un nouveau mot de passe à ma messagerie via le site en question. Il faut alors le valider, le modifier et le noter quelque part pour s’en servir la prochaine fois. J’en ai pour cinq minutes. Pas plus, pas moins.

    Et ça pour toutes mes connexions, tous les jours, plusieurs fois par jour.

    Bon, de toute façon je devais discuter avec les collègues pour comprendre comment fonctionne le logiciel.

    En fait, ce n’est pas tant le mot de passe qui me pose problème car j’utilise toujours les mêmes (je ne sais pas si c’est très malin), c’est l’identifiant. Et oui, là, les logiciels sont assez exigeants et moi beaucoup moins : il faut soit s’identifier avec son adresse mel (mais avec quels logiciels bon sang ? Je ne m’en souviens jamais), soit avec son nom (quoi mon nom ? Un pseudo, mon prénom, autre chose ? Au secours, je ne sais plus où je l’ai noté), soit avec un code (à combien de chiffres ?).

    Je fais pourtant comme tout le monde, j’ai un carnet (informatique mais je l’imprime bien sûr ;-) avec tous mes identifiants et mots de passe associés. Ce n’est pas à jour et c’est évidemment celui qui n’est pas noté qui me manque aujourd’hui. Au fond, je ne sais pas ce qui est le plus fastidieux, consulter mon carnet, redemander un mot de passe au logiciel ou appeler les collègues et en profiter pour faire le point sur tel ou tel aspect du travail en cours.

    Papier-web-personnes, papier-web-personnes, papier-web-personnes ?


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  • Quel espace de liberté nous reste-t-il face à l’invasion technologique ?

    Avec l’histoire du mot de passe, se pose la question de notre mémoire de plus en plus sollicitée par ces technologies. La voiture automatique nous donne une impression plutôt amère de dépendance, voire d’impuissance. Et cet e-billet, qui change de forme en fonction des usages et des réclamations, semble être l’objet insaisissable qui nous complexifie la vie en la simplifiant. Paradoxe ?

    Ces anecdotes de la vie quotidienne laisseraient supposer que les êtres technologiques ont leur vie propre et que c’est à nous, humains, de nous adapter. On nous dit par exemple qu’ils nous feront gagner du temps ou de la tranquillité et nous voici submergés, bousculés, voire paniqués. Mais finalement, la technologie formate-t-elle tant que cela notre vision du monde ?

    Nous vous proposons de cerner dans quelles mesures prendre conscience de notre espace de liberté pour garder du recul et développer notre esprit critique. Il s’agit de pistes d’interprétation pour cadrer et assumer nos choix d’individus face à ces machines qui nous sollicitent bien plus que de simples outils.


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  • Un objet a besoin de ses acteurs en réseau : l’humain au secours de la technologie...

    Anne observe un métro qui s’automatise et petit à petit retrouve ses humains pour en aider d’autres à s’organiser avec les « nouvelles » conditions de transport. Béatrice s’affole face à ces plateformes Internet et son informaticien vient enfin la rassurer. Carsten bricole pour ses collègues une autre plateforme un peu trop rigide au goût des chercheurs.

    Cela nous renvoie à deux nouvelles analyses théoriques : la sociologie des usages et celle de l’innovation socio-technique.

    La sociologie des usages, dont les principaux auteurs sont français, comme Jacques Perriault et Josiane Jouët, s’intéresse à la construction des rapports entre technologie et société. Elle permet de dépasser une posture déterministe qui suppose que la technique ou la société détermine les comportements et les pensées. Elle montre au contraire que les usages (les pratiques de communications médiatisées par exemple) ne collent jamais aux prescriptions de la machine ou de la société même si la rationalité inscrite dans ces dernières structure fortement les pratiques. On le voit particulièrement dans l’anecdote racontée par Carsten où, avec ses dix collègues, il réussit à adapter un système plutôt rigide à des pratiques qui n’étaient pas prévues, comme celles de ne traiter qu’une partie de la gestion de la conférence. De même, les petits hommes oranges accompagnés de la voix douce viennent seconder ce métro de plus en plus automatisé pour simplifier le transport et pourtant incapable de nous aider à nous comporter en êtres civilisés. Ici, la technologie n’est qu’un élément, les collègues et les régulateurs permettent d’en faire un usage approprié. L’humain permet ainsi cette nécessaire adaptation au réel des situations.

    Michel de Certeau, précurseur de la notion d’usage au sens de « l’art de faire avec », met l’accent sur la façon dont les individus mobilisent leur environnement quotidien pour détourner, bricoler, braconner, les technologies. Dans son œuvre, L’Invention du quotidien, il parle des « ruses silencieuses et subtiles » que déploie chacun pour faire vivre à sa façon, grâce notamment aux histoires qu’on se raconte, les messages imposés par les produits de consommation. Là se situe la liberté des individus, évoquée dans les chapitres précédents. On le voit en effet dans le dialogue qu’instaure Anne avec les régulateurs du métro et qui permet de donner vie à cet automatisme a priori inhumain. Les histoires de Carsten et de Béatrice sur les plateformes de travail sur Internet montrent également, sous cet angle, que rien ne fonctionnerait si personne, non seulement aidait, expliquait, mais aussi et surtout, rassurait, complétait, voire remplaçait. C’est le coup de téléphone à l’informaticien, ce sont les réponses aux méls des utilisateurs, ce sont les tests entre organisateurs et qui sont souvent suivis de déjeuners, ce sont nos rencontres régulières pour mettre en œuvre ce bricolage nécessaire à l’usage des technologies. Nos usages sont ainsi ce qu’il nomme « en perruque », c’est-à-dire ce que l’on fait dans le cadre professionnel mais pour un usage domestique.

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    Enfin, la sociologie de l’innovation, aussi appelée de la traduction, a été développée par Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour pour montrer les limites du modèle diffusionniste. Ce dernier suppose qu’une innovation se diffuse parce qu’elle est de qualité et qu’elle est bien adaptée au système social. Ce serait le cas de la plateforme de Carsten telle qu’il l’imagine au départ… La sociologie de la traduction s’attelle, après des études sur de nombreuses innovations d’hier et d’aujourd’hui, à montrer que ce n’est pas du tout le cas. D’abord, la conception de l’objet technique n’est pas neutre et la participation ou non des utilisateurs joue un grand rôle, ce que nous venons de voir. Ensuite, l’ensemble des individus concernés peut débattre autour de l’objet encore virtuel et ce sont ces controverses qui font évoluer le produit vers le succès plutôt que vers l’échec. On le voit avec la façon dont la plateforme de Béatrice évolue grâce aux discussions avec l’informaticien qui adapte, corrige et transforme. Les partisans de l’innovation ont pour principal travail de contrecarrer les arguments de leurs opposants pour rallier le plus grand nombre de personnes à la cause de l’innovation. La présence des petits hommes orange vient ainsi, non seulement humaniser, mais aussi faire accepter ce nouveau métro quadrillé qu’utilise Anne. Avec la théorie de l’innovation, aussi appelée de l’acteur réseau, on considère alors que l’innovation est un actant, ou acteur non humain, au nom duquel parlent les individus. Elle joue un rôle dans le programme de sa vie, survie ou mort.

    Nous avons ainsi conté nos anecdotes selon nos divers points de vue d’usagers qui montrent les différents aspects des technologies mises en scène : le programmeur, l’organisateur, l’utilisateur, l’usager, le régulateur, chacun a son avis sur la technologie qu’il mobilise et c’est, nous semble-t-il, ce qui en fait toute sa richesse !


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  • Pendant la Guerre de Cent Ans, on ne s’est pas battu tous les jours. On a beaucoup plus souvent négocié, en particulier pendant le long et difficile règne de Charles VI (1380-1422), nommé le « roi fou ». Ces quelque quarante années laissent entrevoir pour la première fois les coulisses de l’organisation d’une administration naissante, la diplomatie, avec ses règles, ses normes et le sens qu’elle cherche à faire émerger grâce à une pratique strictement encadrée. Regardons par exemple ce dossier de négociations de la fin du XIVe siècle.

    Durant cette période, Charles VI est atteint de folie intermittente. Toutefois, il fait progresser la paix entre la France et l’Angleterre en 1396 lors d’un traité qui prévoit, entre autres, le mariage de sa fille Isabelle de Valois (alors âgée de 6 ans) avec le roi d’Angleterre Richard II. Malheureusement, Richard II est assassiné en 1399 par Henry de Bolingbroke qui devient roi d’Angleterre sous le nom de Henry IV. L’une des raisons qui ont causé la perte de Richard II est la quête de bonnes relations avec le royaume de France. Le nouveau roi d’Angleterre est bien décidé à en découdre pour reprendre l’avantage. Il détient pour cela une otage de choix, la princesse Isabelle, qu’il entend marier à son fils Henry (le futur Henry V), non pour avoir de bonnes relations avec la France mais pour prétendre ainsi légitimement au royaume de France. 

    chap3-civilisation

    tiré de Mimi et Eunice

    (Tu as promis d’être civilisé ! – Je suis civilisé ! – Tu n’as pas précisé quelle civilisation.)

     

    Les négociations qui s’engagent alors entre les deux pays sont préparées avec soin par l’administration du royaume français, œuvre des notaires et secrétaires du roi, vivier d’intellectuels qui font brièvement rayonner un « premier humanisme ». Tout doit être fait pour empêcher que l’enfant épouse l’héritier du nouveau roi d’Angleterre.

    On connaît le détail des discussions de 1399-1403 par une série de documents très précis : des instructions (secrètes) et des pouvoirs (à montrer avec discernement) pour discuter tel ou tel point. Il y a un pouvoir (ou mandat) pour prolonger des trêves, un autre pour négocier le retour de la princesse, un autre encore pour autoriser un messager à rencontrer l’enfant, un dernier pour récupérer la dot et les bijoux de la princesse. Les instructions expliquent dans quel ordre utiliser les pouvoirs, quoi dire à qui et à quel moment, quelles sont les priorités.

    A la même époque, Bernard du Rosier, premier auteur connu d’un « art de négocier » se frotte lui aussi à la pratique de la diplomatie et propose une typologie des documents qui doivent servir dans les relations diplomatiques. Il distingue des lettres de procuration, lettres de créance et instructions. Mais, à aucun moment des négociations de 1399-1403, il n’est question de lettre de créance alors que c’est le document clé pour accréditer un ambassadeur auprès d’un souverain étranger. En effet, délivrer de telles lettres formelles, serait reconnaître l’usurpateur Henri IV comme légitime souverain par la chancellerie (l’administration) de Charles VI… Une grande partie des négociations consiste alors à contourner la norme, tout en faisant accepter les ambassadeurs comme légitimes.

    Déjà, la norme ne fait pas bon ménage avec la pratique.

    La princesse Isabelle de Valois est finalement restituée à ses parents à la fin de l’année 1401. Les négociations se poursuivent plusieurs années dans un cadre où, comme à EDF (anecdote contée dans le chapitre), quelques siècles plus tard, on préfère « oublier » ce qui sort des règles formelles.


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